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Le processus migratoire

Ce texte a été rédigé à partir de la conférence-forum donnée par M. Joël Fronteau, psychologue et formateur en relations interculturelles, dans le cadre des activités du programme ethnoculturel de l’ACSM-Montréal, le 3 février 1999.

Équilibre en tête. Vol 13, no 3

Le processus migratoire n’est pas le même pour les réfugiés et les immigrants ; cet exposé fera l’état de celui des immigrants. Selon M. Fronteau, le processus migratoire peut se comprendre à partir de quatre principales étapes : Avant le départ, Entre-deux, Arrivée et Adaptation.

1. Avant le départ
L’étape « Avant le départ » débute à partir du moment où l’individu a décidé de migrer. Durant cette période, l’individu devra franchir cinq phases. Tout d’abord, prendre la décision de migrer. Lors de cette étape préliminaire, l’individu s’informe de façon spécifique sur le pays d’accueil. Puis, c’est la préparation du départ. À ce moment, les démarches administratives sont entreprises auprès du pays d’accueil. Ensuite, arrive la période de détachement où l’individu doit se défaire de certaines choses affectives, matérielles et émotives. Parallèlement, un détachement psychologique débute. La personne doit penser à la transmission de son héritage affectif sont les objets qui ont pour elle des valeurs affectives. Suivant le détachement, c’est l’anticipation où la personne attend impatiemment ce que lui réserve l’avenir, un peu comme le « Rêve de l’Eldorado ». Finalement, il y a le renoncement. C’est le moment où l’individu doit renoncer à ses acquis professionnels, à son statut social et miser sur l’avenir. C’est un pari sur lui-même. C’est repartir à zéro et reconstruire.

Pendant le petit laps de temps précédant le départ, l’individu fait le plein de culture. Il amasse des souvenirs (des sons, des couleurs, des images, des odeurs…), qui vont lui servir à se rappeler de son pays d’origine. Plus tard, il va les récupérer pour s’en faire une nouvelle structure. C’est aussi le temps où certains migrants, les Chinois et les Africains par exemple, vont vivre des rituels de séparation avec leur communauté. Souvent, ils seront investis d’une mission ou d’un mandant créant ainsi des obligations.

« Partir, c’est mourir un peu, c’est une sorte de suicide psychosocial », a indiqué M. Fronteau. Lorsque le départ devient imminent, il y a un sentiment d’urgence ; la dernière nuit, cette dernière chose à faire, ce dernier téléphone… Le processus de deuil est amorcé. Le départ n’a pas le même impact psychologique selon qu’on soit seul ou accompagné, mais il est souvent marqué soit par un sentiment d’anxiété, d’exultation ou un peu des deux.

2. Entre-deux
Cette période pourrait être nommée le « no man’s land » ou « entre l’ici et l’ailleurs ». Il s’agit de l’intervalle entre le départ du pays d’origine et l’arrivée au pays d’accueil et sa durée varie. Souvent, cette période se vit dans l’avion ; c’est le moment où l’individu fait le vide dans sa tête et réalise qu’il vient d’effectuer la première séparation réelle : le premier deuil de l’immigrant. C’est l’émergence du sentiment de nostalgie, de solitude ou l’imagination du futur immédiat.

 

3. Arrivée
L’arrivée correspond à la période de temps nécessaire pour la réadaptation biologique de l’individu à son nouvel environnement (horaire, air, eau, etc.). Pendant cette étape, la personne vit des sentiments d’ambiguïté, elle est fatiguée et excitée, voire euphorique, par tout un bombardement d’impressions nouvelles et de premiers éblouissements. Les chocs culturels s’accumulent. L’individu fait ses premières constatations, vit certaines désillusions et stéréotype la culture du pays d’accueil. Cette phase est caractérisée par l’ouverture de la personne à échanger sur sa culture et à faire des observations authentiques et spontanées sur la culture d’accueil, car les remparts ne sont pas encore érigés. C’est le moment privilégié pour les organismes communautaires d’apprendre à connaître la culture de l’autre et de partager sa propre culture.

4. Adaptation
Au coeur du processus d’adaptation, il y a la notion d’identité ; ce que j’ai été, ce que je suis… Cette période, qui n’est jamais terminée, débute par un choc. L’individu réalise que certaines tâches de la vie quotidienne doivent être réapprises. Pour expliciter cette réalité, M. Fronteau nous a demandé d’écrire notre nom. Par la suite, il nous a demandé de l’écrire à nouveau de l’autre main. De la première main, l’écriture a été automatique, tandis qu’avec la deuxième main, nous devions nous appliquer et réfléchir pour y arriver. Il en est ainsi pour l’immigrant. La simple exécution de tâches quotidiennes, jusque-là automatique, devient laborieuse et pénible et peut nécessiter un nouvel apprentissage. Toutefois, cela peut l’amener à prendre conscience de sa propre façon de faire.

Passant rapidement de la période de découverte au plaisir d’identifier des nouvelles façons de faire, d’apprendre des nouvelles choses, de satisfaire sa curiosité par rapport au nouveau pays, au repliement, où l’individu fait le point par rapport à ses nouvelles connaissances et acquisitions, l’individu est saturé et ressent une grande fatigue culturelle. Il a besoin de repos et de solitude afin de décanter, de digérer et de refaire le plein d’énergie.

Les débuts de l’adaptation sont difficiles, car l’individu réalise la nécessité d’échanger avec les membres de la nouvelle culture pour s’adapter et, en même temps, il est fatigué d’apprendre de nouvelles choses. Cette lutte intérieure rend cette étape particulièrement éprouvante.

Par la suite, les nouveaux acquis vont être soupesés par rapport aux comportements antérieurs. Certaines personnes vont s’adapter en développant une sphère privée (ancienne façon de faire), et une sphère publique (nouvelle façon de faire). D’autres vont passer par une période de révolte, où elles vont transgresser les comportements traditionnels du pays natal, aussi bien que ceux du pays d’accueil. Cette phase de l’adaptation dure quelques mois. Par la suite, si la migration se vit bien, l’individu va s’adapter, se bâtir un vécu historique, une mémoire dans son pays d’accueil. Lorsque j’ai un passé, je peux envisager un avenir.

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