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L’action intersectorielle pour une approche en santé mentale des immigrants
5 mars 2017
Par Witnisse Mereus, ancienne agente de projets de l’ACSM-Montréal
Équilibre en tête. Vol. 13, no 3
«On ne devient pas fou comme on le désire, la culture a tout prévu. Au coeur même de l’élaboration de la névrose et de la psychose par laquelle nous tentons de lui échapper, la culture vient encore nous rejoindre pour nous dire quelle personnalité de rechange nous devons adopter.» (Laplantine, 1973)
La société québécoise évolue vers une composition multiethnique de sa population. Dans ce contexte, les intervenants ont pour défi d’adapter leurs interventions tant au niveau individuel que communautaire à cette réalité pluriethnique.
S’il est vrai que la majorité des immigrants s’adaptent bien à leur nouvel environnement et ont une bonne santé mentale, il n’en demeure pas moins que le stress qui accompagne le processus d’adaptation gruge beaucoup de leur énergie psychique et les rend plus vulnérables à des problèmes de santé mentale.
L’action intersectorielle est l’approche préconisée pour une meilleure intervention promotionnelle ethnoculturelle en santé mentale. En effet, on espère que l’action intersectorielle qui est la collaboration à différents niveaux (coordination, développement de stratégies, pratique) entre des gens provenant de différents milieux et de différentes formations, favoriserait l’intégration des immigrants et, par le fait même, diminuerait les situations de stress.
Préalables à l’action intersectorielle
« Je me sens dépourvu face aux usagers d’origines ethniques différentes ! » ; «J’ai de plus en plus d’usagers avec des problèmes de santé mentale, je ne sais pas comment gérer ces problèmes, pourtant ils ne veulent pas être référés !»
Ces affirmations qui semblent fictives sont les commentaires provenant d’intervenants travaillant en santé mentale ou en ethnoculturel.
Le pluralisme culturel est une réalité à laquelle les intervenants ont à faire face régulièrement, autant dans les organismes en santé mentale et en ethnoculturel, que dans les milieux communautaire et public. Il est intéressant de constater que ces deux milieux ont cherché, chacun de leur côté, à résoudre leurs difficultés. Devant l’ampleur du problème, leurs efforts respectifs débouchent sur une plus grande ouverture à la communication, à l’échange et au partenariat.
Une démarche d’ajustement efficace des interventions promotionnelles aux communautés ethnoculturelles implique que les différents partenaires de l’action intersectorielle répondent aux critères ci-dessous mentionnés. Chaque réseau doit :
- Reconnaître ses difficultés à répondre aux besoins de sa clientèle ethnique d’une façon appropriée ;
- Voir ses limites par rapport aux services offerts ;
- Être prêt à répartir également les responsabilités.
En effet, selon différentes études, pour qu’une action intersectorielle ait un impact, les différents membres du groupe doivent travailler ensemble, d’où l’importance d’une sensibilisation avant de débuter le travail d’équipe (Mattassich, Monsey, 1992). L’approche multidisciplinaire, qui permet la communication et la mise en commun des connaissances et habilités des intervenants provenant de différentes disciplines, repose sur le respect de chacun des membres, sachant que chaque personne possède une expertise et que la mise en commun et l’intégration des diverses connaissances permettront d’avoir une meilleure compréhension de la communauté desservie. C’est à ce moment seulement qu’on peut dire que l’intervention s’adresse au client dans sa globalité.
Une action intersectorielle bien orchestrée devrait permettre à chaque intervenant d’atteindre ses objectifs d’intégration et de mieux desservir sa clientèle.
Vers une intervention globale
Juvénal a dit : «Un esprit saint dans un corps sain». À cette pensée bien connue, j’ajouterai : «dans un environnement physique, social et politique sain».
Promouvoir la santé mentale dans les communautés ethniques demande l’adaptation des interventions promotionnelles existantes afin de toucher aux différents aspects de la réalité humaine, et cela avec un désir de comprendre et de respecter les valeurs, le mode de vie, les comportements et les pratiques culturelles de l’Autre. L’expertise pour y parvenir est présente dans les ressources existantes. Ainsi, les ressources institutionnelles et alternatives en santé mentale possèdent l’expertise quant à la santé mentale et les groupes ethnoculturels les habiletés d’intervention auprès des minorités ethniques. Cependant, les échanges entre les deux groupes sont déficients. L’action intersectiorielle peut devenir une source de savoir et favoriser des pratiques novatrices.
Exemples de succès
Les interventions intersectorielles se développent de plus en plus. En santé mentale, il existe peu de modèles d’intervention ethnoculturelle résultant de l’action intersectorielle. Par contre, les exemples sont assez fréquents en intervention thérapeutique. Plusieurs centres de jour et organismes pour personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale sont le résultat d’une action intersectorielle. Par exemple, l’organisme « Maison les étapes inc. » travaille en collaboration avec plusieurs organismes du secteur communautaire (AMI-Québec, Project Arc inc., le Centre de crise Tracom, etc.), et institutionnel (hôpitaux, CLSC, etc.), afin de permettre à la personne souffrant de problèmes de santé de mentale de s’intégrer dans la communauté.
Par ailleurs, de plus en plus d’efforts sont déployés pour mettre en commun les expertises différentes en ethnoculturel. L’intervention de la Clinique psychiatrique transculturelle de l’Hôpital Jean-Talon est un bel exemple d’action intersectorielle. Cette pratique est le résultat de la collaboration entre les réseaux institutionnel et communautaire. L’évaluation psychosociale dans cette clinique est réalisée en tenant compte des valeurs culturelles et de la spiritualité de la personne. On devrait profiter de l’émergence des actions intersectorielles pour y inscrire une tradition dans le domaine de l’intervention ethnique promotionnelle en santé mentale.
L’action intersectorielle : pistes d’intervention promotionnelle
Il y a plusieurs facteurs de risque pour la santé mentale de l’immigrant : la diminution du statut socio-économique, la disqualification professionnelle, la barrière linguistique, l’isolement culturel et le choc culturel, pour ne nommer que ceux-ci. Les programmes suggérés ci-dessous sont des pistes d’intervention pour promouvoir la santé mentale de l’immigrant par l’action intersectorielle des organismes de quartier.
Une intervention promotionnelle contre la dépression développée par action intersectorielle pourrait ressembler à ce qui suit :
- Les ressources en santé mentale en collaboration avec les groupes ethnoculturels pourraient animer des groupes de discussion sur le processus migratoire.
- Certaines écoles pourraient offrir des activités parascolaires pour les familles immigrantes.
- Certains organismes pourraient favoriser un jumelage de familles d’accueil québécoises et de familles immigrantes.
- Les groupes ethnoculturels de quartier pourraient organiser, en collaboration avec des écoles et des centres de loisirs, des activités sportives et culturelles pour les immigrants qui résident depuis moins de trois ans au pays.
- Les municipalités pourraient augmenter le nombre de logements sociaux accessibles aux immigrants.
L’action intersectorielle : une avenue prometteuse
L’évolution de la société québécoise vers une population pluriethnique fait en sorte que les interventions traditionnelles en promotion de la santé mentale ne sont plus adéquates pour un nombre d’immigrants en constante évolution. Il devient important, pour ne pas dire urgent, d’adapter les stratégies d’intervention promotionnelle à cette réalité. L’action intersectorielle peut favoriser l’intervention en santé mentale auprès des membres des communautés culturelles, à l’aide d’une organisation planifiée et systématique agissant dans toutes les sphères.