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Trauma et évènement traumatique

Trauma et évènement traumatique : les réfugiés du Kosovo et les autres de la planète

Par Mounir Samy, M.B., B. Ch. ; FRCPC, psychiatre et psychanalyste, professeur agrégé à l’Université McGill
Équilibre en tête. Vol.13, no 3

Savons-nous seulement ce qu’est un trauma ? Il faut commencer par faire une distinction entre trauma et événement traumatique et, également, entre trauma et les autres formes de stress. Nous avons en effet tendance à confondre ces entités entre elles.

Le trauma est une réalité subjective interne, d’ordre psychologique, tandis que l’événement traumatique s’opère dans une réalité externe et objective. Le viol de l’adolescente ; l’assassinat public du père à coups de poignard sous les yeux horrifiés et impuissants de sa famille ; l’expulsion forcée hors de sa maison, de son village, puis l’immigration ; le suicide de la mère; l’arrestation militaire et l’incarcération de l’enfant de neuf ans dont on a déjà brisé les os ; l’annonce de la séropositivité ou d’événements traumatiques dont j’ai été témoin dans ma pratique. Mais ces événements constituent-ils nécessairement un trauma ? Et pourquoi pas simplement une réaction de perte, une grande frayeur ou un stress ? Qu’en est-il alors du divorce des parents ou de la violence dans les écoles ?

Puisque interne, cette réaction traumatique, qu’on appelle couramment trauma, sera déterminée par des facteurs intrapsychiques, familiaux, culturels, religieux et socio-politiques. L’ensemble de ces facteurs fera que le même événement traumatique déclenchera soit une crise passagère, un stress plus ou moins intense ou encore un trauma sévère. Il n’est pas du tout aisé de connaître à l’avance la réaction d’un individu à un événement traumatique, quel qu’il soit.

C’est que ce que les Anglais appellent « the tea bag factor » : il est impossible de connaître la force d’un sachet de thé avant de le plonger dans l’eau bouillante.

Le trauma n’est pas un stress comme les autres, c’est une douleur unique, une souffrance considérable, une expérience humaine multiple et complexe. Mais le trauma est aussi une forme de connaissance unique et possiblement un tremplin à l’expansion de la conscience individuelle et collective vers une humanité plus ouverte et plus généreuse.

Le trauma pourrait être défini dans sa spécificité par le fait qu’il pousse à la limite extrême et même va au-delà des capacités de défense ordinaires du moi. Le trauma surcharge les aptitudes psychiques de métabolisation et de métaphorisation face à l’événement traumatique. Il y a dans le trauma une sidération psychique qui empêche de «penser le trauma» et par conséquent de pouvoir le dire et le contenir. Voilà pourquoi la réaction au stress post-traumatique provoque un éclatement, une fragmentation des structures du moi et de la perception de l’environnement humain. Nous pouvons ainsi mieux comprendre les symptômes contradictoires de l’état post-traumatique, en particulier la présence simultanée de dépression et d’excitation ou encore le déni massif ou dissociatif en même temps que la reviviscence sous toutes ses formes.

Aux pertes catastrophiques dans la vie de l’individu correspond une perte soudaine au niveau psychique des attentes naturelles, des présomptions qui allaient de soi, des limites de l’éventail du possible dans l’expérience du vécu. De telles frontières font fonction de contenant. Elles délimitent la perception du possible et de l’impossible, le pensable du non pensable, le fantasme de la réalité et sont, par conséquent, des fonctions structurantes de la personnalité. Il se produit alors, et peut-être de façon plus importante, une brisure dans l’expérience de la continuité intrapsychique et de l’environnement humain. L’individu tombe, en quelque sorte, en dehors de l’histoire. Il perd son historicité, c’est-à-dire sa perspective temporelle qui lui donne un passé et un avenir, tous les deux amarrés au moment présent. Or, c’est la continuité du vécu par sa fonction de contenant interne qui permet de donner un sens à l’effort et à la souffrance. Le rapport espace-temps est perturbé, le trauma est toujours en dehors du temps et rend l’être, pour ainsi dire, non historique. Le moment présent se fige et occupe tout l’espace psychique avec pour résultat un rétrécissement de la conscience et la régression à une pensée concrète. Le traumatisé meurt un peu à lui-même, c’est ce qu’un auteur a déjà appelé le « meurtre de l’âme ».

Nous pouvons à présent mieux comprendre que les défenses psychiques mises en place dans la réaction traumatique ne visent pas uniquement la survie de l’être et sa maîtrise de la situation, mais représentent, de manière également vitale, un compromis entre le besoin de reconstituer, de rétablir la continuité du vécu et celui, tout aussi violent, d’extraire l’événement traumatique de cette continuité.

Le trauma est multiple et hétérogène selon la nature de l’évènement traumatique. Celui en rapport à la violence politique, à la guerre et aux conflits armés, se distingue par des caractéristiques bien particulières. Le trauma suite à la violence politique comme celui qui touche les réfugiés du Kosovo, n’est pas uniquement un trauma ponctuel (exemple: un accident d’auto), qu’on appelle aussi de type 1 ou « stress trauma ». Mais c’est également un trauma continu, un trauma du vécu quotidien et qui se prolonge dans le temps, aussi dénommé trauma de type 2 ou « strain trauma ».

Le trauma ponctuel du père abattu ou humilié sous les yeux de l’enfant, se superpose au trauma chronique de son vécu, déjà présent depuis longtemps. Le trauma de la violence politique combine également le trauma de type individuel (exemple : le viol, la torture, l’incarcération, l’exil), et le trauma collectif (exemple : l’oppression et la discrimination souvent institutionnalisée ou étatisée). La guerre réunit en elle tous les traumatismes et c’est pire encore lorsqu’on l’appelle « civile ».

L’aspect secret ou honteux de l’événement traumatique n’existe pas quand le trauma est collectif. Par contre, nous savons que la présence d’une cause politique à laquelle l’individu cherche à adhérer, facilite le support de la souffrance. Il y a toujours dans le trauma un besoin intense de subordonner sa souffrance à quelque chose de plus grand que soi et de plus important que son existence propre. Ce qui explique l’intensification de la conscience collective et le retour fréquent à un ralliement religieux ou spirituel.

Nous savons qu’il existe chez les enfants un rapport direct entre l’intensité et la durée du trauma, ainsi que le degré de désordre psychologique. Être témoin de violence, en particulier envers ses proches, constitue un trauma au même titre qu’en être directement victime. La présence continue, confortante et protectrice de la famille est le facteur de médiation (ou régulation), le plus important. La présence d’un réseau de soutien social est également importante. Les garçons sont plus affectés que les filles et les jeunes enfants plus que leurs aînés.

Les facteurs socio-politiques influent fortement sur la réaction psychologique au trauma. L’inscription de l’expérience du vécu à une cause politique partagée par la famille et l’ensemble de la communauté semble être un facteur médiateur important. La définition que nous donne le DSM-IV du désordre de stress post-traumatique s’applique surtout aux adultes et souffre également d’ethnocentricité. C’est donc avec une grande précaution que l’on devrait chercher à l’appliquer lorsqu’il s’agit d’enfants ou de personnes appartenant à des communautés ethniques. Il serait impensable de chercher à comprendre l’amplitude de la résonance psychologique d’une souffrance qui va si profondément dans le coeur de l’homme sans tenir compte de son contexte culturel.

En gros, le désordre de stress post-traumatique dont les séquelles pourront, quelques fois, durer toute la vie, se manifeste par :

  1. Le revécu persistant et involontaire de l’événement traumatique par : des pensées parasites, des souvenirs, des rêves, la répétition de l’agir (ou revictimisation), et, au pire des cas, des hallucinations, des états dissociatifs ou des « flash back ». Il y a, dans tous les cas, une réaction aiguë à tout rappel externe ou interne qui représente ou symbolise l’événement traumatique.
  2. L’évitement persistant, par le même individu, de tout ce qui pourrait faire revivre l’expérience traumatique : l’effort d’évitement de pensées relatives au trauma, des endroits, des personnes, des activités qui constitueraient un rappel. Quelques fois, une amnésie totale ou sélective d’un aspect important du trauma : la perte d’intérêt à certaines activités, le détachement ou le sentiment d’aliénation aux autres ou à ses propres sentiments, l’appauvrissement de l’affect, l’indifférence, se sentir « gelé », le rétrécissement du sens du futur.
  3. L’hypervigilance persistance, les troubles du sommeil, l’irritabilité, les explosions de rage, le trouble de la concentration, la réaction de surprise exagérée ou « stratle reaction ».
    Ces symptômes sont causes de détresse psychologique ou de dysfonctionnement social ou professionnel significatif.

Le trauma peut être cliniquement associé à un sentiment de culpabilité tel celui du survivant, de phobie ou d’évitement phobique, de trouble de la modulation de l’affect, de comportement auto-destructeur ou impulsif, de symptômes somatiques, de sentiments d’impuissance, de honte, de désespoir, d’être défectueux, endommagé, de la perte de croyances antérieures ou au contraire d’un durcissement fanatique hostile, de retrait social, de troubles relationnels ou de changements de la personnalité. Dans les cas extrêmes, nous pourrons trouver des délires paranoïaques. Il arrive aussi que la victime devienne l’abuseur et le persécuté le bourreau.

Le trauma arrive rarement seul. En comorbidité, nous retrouvons les états de panique, l’agoraphobie, les désordres obsessifs-compulsifs, la phobie sociale, la dépression et la dépendance à l’alcool ou aux drogues.

Mais rappelons-nous que si le trauma est catastrophe, c’est qu’il est aussi tremplin. Face à la haine et à la souffrance, il y aura toujours chez certaines personnes un besoin absolu de réparation. Le trauma deviendra pour certains une forme de connaissance, une expérience profondément humaine qui approfondira la complexité d’une réalité toujours multiple et conflictuelle. Le trauma sera également une occasion de solidarités familiale, nationale et internationale autrement impensables. Un moment de vérité sur soi et sur la condition humaine ; une occasion de retour aux priorités essentielles ou la recherche d’une dimension spirituelle. Car, comme l’a déjà dit quelqu’un, Dieu seul est humain.

Avec de l’aide, les gens peuvent se rétablir d’un TSPT et des effets du traumatisme. Le rétablissement est bénéfique pour toute la famille, particulièrement pour les jeunes qui apprennent encore comment interagir avec le monde. Le rétablissement d’un proche est l’occasion pour chacun d’acquérir les compétences qui favorisent le mieux-être.

Besoin d’aide ?

Pour en savoir plus sur les services d’aide et les ressources disponibles dans votre région, vous pouvez rejoindre un intervenant psychosocial au 811 option 2.

Il existe également des groupes de soutien et des ateliers d’autogestion avec Relief au 514 529-3081.

Pour toute personne victime d’un acte criminel, leurs proches, ainsi qu’aux témoins d’un acte criminel, contactez le CENTRE D’AIDE AUX VICTIMES D’ACTES CRIMINELS (CAVAC) au 1 866 532 2822.


Pour aller plus loin

Voici un article sur l’approche de prévention des traumatismes de l’Institut national de santé publique du Québec.

 

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